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23 octobre 2008

Les visages de l'outrage ...

Source : http://www.rue89.com:80/2008/10/23/les-visages-de-loutrage-enquete-sur-un-delit-en-vogue

Enquete

Les visages de l'outrage :

enquête sur un délit en vogue

Des citoyens de plus en plus nombreux sont poursuivis pour avoir répondu à un dépositaire de l'autorité publique. Portraits.

Ce jeudi, Hervé Eon devra s'expliquer devant la justice, à Laval, pour avoir porté une pancarte sur laquelle était écrit « Casse toi pov'con ». C'était le 28 août dernier, au passage de Nicolas Sarkozy à Laval.

La veille, mercredi, c'est Romain Dunand qui était passé devant la cour d'appel de Paris. Vous connaissez son nom car il est l'un des premiers auteurs d'outrages dont nous ayons parlé sur Rue89. L'affaire remonte à janvier 2008 et il venait d'être condamné pour un mail envoyé en décembre 2006 au ministère de l'Intérieur, époque Nicolas Sarkozy. Dans ce message de « solidarité ». avec Florimond Guimard alors en garde à vue, Romain Dunand écrivait :

« Voilà donc Vichy qui revient : Pétain avait donc oublié ses chiens ! »

En première instance, la justice l'avait condamné à huit cents euros d'amende. En appel, le parquet a requis mille euros (le délibéré est prévu le 26 novembre). Selon le Code Pénal, il pouvait encourir jusqu'à 7500 euros d'amende dans la mesure où l'outrage, à la différence de l'insulte publique, touche une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions.

Le Syndicat de la magistrature rappelle que le délit d'outrage a été durci par le gouvernement Jospin qui a créé en 2001 l'outrage contre des personnes « chargées d'une mission de service public », et pas seulement « dépositaires de l'autorité publique ». « C'est-à-dire que cet avatar du délit d'outrage peut s'appliquer à des enseignants, des contrôleurs RATP ou des chauffeurs de bus », précise la magistrate Hélène Franco.

Une spécialité des jeunes de banlieue

Juge des enfants à Bobigny, Hélène Franco (syndicat de la magistrature) précise qu'au regard des 31 000 procédures pour outrage devant la justice l'an dernier, ces profils de militants ne sont « pas très représentatifs dans la mesure où la très grande majorité des cas d'outrage concerne des prévenus plutôt jeunes, de moins de 25 ans, issus de quartiers défavorisés, et souvent d'origine étrangère. Ce sont eux, en relation quotidienne avec la police, qui sont les premiers poursuivis pour outrage. »

L'outrage prospère en France, où l'on a compté plus de 31 000 plaintes en 2007 (contre seulement 17 000 il y a dix ans selon l’Observatoire national de la délinquance). Mardi, tous les outrageurs familiers de Rue89 se sont réunis à la librairie Resistances, à Paris : c'était l'acte de naissance du Codedo.

Ce collectif est né de la rencontre, sur Rue89, de Romain Dunand et de Jean-Jacques Reboux, qui a déjà publié ici plusieurs tribunes. Tous deux réclament la dépénalisation de l'outrage. Ensemble, ils ont ressenti le besoin de prêter main forte à ceux qui sont à leur tour poursuivis pour outrage. Jean-Jacques Reboux :

« Le délit d'outrage a pris des proportions hallucinantes alors que les plaintes déposées par les policiers le sont essentiellement pour couvrir les violences policières ou arrondir les fins de mois de certains fonctionnaires. Nous réclamons sa dépénalisation parce qu'on utilise ce délit pour gonfler les statistiques. L'outrage est aussi un dispositif judiciaire utilisé par le pouvoir, en l'occurrence Nicolas Sarkozy dans les deux procès de cette semaine, pour faire taire des citoyens qui peuvent être des militants mais ne le sont pas toujours. »

A quoi ressemblent ces bad boys de la République ? Pas franchement à des clones de Joey Starr… Et leurs méfaits? Parfois agressifs, d'autres fois plutôt badins sinon facétieux, ils offrent un éventail assez vaste de ce que l'on appelle « outrage » aujourd'hui en France. En images et en détails, les portraits de quatre outrageurs qui n'en ont pas encore terminé avec la justice.

1   Romain Dunand

Age : 36 ans.
Profession : Animateur, actuellement en recherche d'emploi.
Militant ? « Oui, mais pas depuis très longtemps, moins de cinq ans. Je milite à RESF et à la CNT, qui participe au Réseau éducation sans frontières. C'est au nom de la CNT que j'ai envoyé au ministère de l'Intérieur ce message de solidarité à Florimond Guimard, militant RESF et professeur des écoles à Marseille, qui était à l'époque en garde à vue pour s'être opposé à l'expulsion d'un parent d'élève. »
Pourquoi des poursuites pour outrage ? Nicolas Sarkozy a saisi la justice pour « outrage ». Lui ne réclamait qu'un euro de dommages et intérêts mais en première instance, le parquet a requis 750 euros d'amende. Le juge a alourdi l'amende, condamnant le prévenu à 800 euros. En appel, le parquet a réclamé 1000 euros.
Antécédents judiciaires : Néant.
Signe particulier : Extrême timidité.

2   Hervé Eon

Age : 56 ans
Profession : Ancien directeur d'association, après diverses expériences dans la restauration ou à l'usine. Attend la retraite d'ici deux ans.
Militant ? « Oui, j'adhère à l'association d'éducation populaire “Pour la république sociale”, présidée par Jean-Luc Mélenchon et je suis également un militant anti-OGM et anti-nucléaire. J'étais auparavant conseiller général socialiste en Mayenne. C'est en tant que militant que je me rendais à vélo à la manif contre Nicolas Sarkozy, en déplacement à Laval le 28 août. »
Pourquoi des poursuites pour outrage ? Hervé Eon a été arrêté parce qu'il roulait à vélo avec une pancarte de format A4 sur laquelle était écrit, en recto verso, « Casse-toi pov'con ». C'est le parquet qui a décidé de le faire juger. Il risque 45 000 puisque cet outrage-là relève, au regard de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, de « l'offense au chef de l'Etat ». Audience jeudi 23 octobre à Laval.
Antécédents judiciaires : Une condamnation pour fauchage de cultures OGM.
Signe particulier : Humour capable de dérider la salle lors de la présentation du Codedo.

3   Maria Vuillet

Age : 57 ans
Profession : Assistante sociale au CROUS de l'université de Nanterre.
Militante ? « Je n'appartiens à aucun parti, je ne milite dans aucune organisation. Je soutiens simplement l'union d'associations latino-américaines. A part ça, je ne suis pas une militante mais je suis une citoyenne qui défend les droits et les espaces démocratiques car la France a été un exemple pour d'autres peuples. »
Pourquoi des poursuites pour outrage ? Le 22 octobre 2007, c'est Guy Moquet au menu pour toute la France. Nicolas Sarkozy a exigé que sa lettre soit lue dans toutes les écoles. Ce jour-là, la fille de Maria Vuillet organise une manifestation dans le lycée d'origine du résistant communiste. La mère accompagne sa fille. A la station de métro du même nom, le sous-préfet Lacave peste contre le rassemblement. Il affirme que Maria Vuillet l'a traité de « facho ». A son procès, le 16 juin, elle a soutenu qu'elle lui avait seulement dit qu'il ne « représentait pas la République que Guy Moquet aurait voulu ». Le tribunal l'a finalement relaxée mais le parquet et le sous-préfet ont fait appel. Elle attend la date du nouveau procès.
Antécédents judiciaires : Néant.
Signe particulier :Colombienne de naissance, elle est française par mariage. Elle affirme que, lorsqu'on l'a interpellée, on lui a dit aussitôt qu'en tant qu'étrangère, elle serait expulsée.

4   Serge Szmuszkowicz

Age : 58 ans
Profession : Ancien gérant de société. En arrêt maladie depuis trois ans suite à une greffe osseuse. Attend la retraite.
Militant ?« Je ne l'étais pas, même si j'ai toujours voté. En fait, je suis devenu militant avec toute cette affaire. »
Pourquoi des poursuites pour outrage ? Un jour, sur le coup de 18 heures, il s'empoigne avec un gendarme sur un parking du Val d'Oise. Lui est avec son épouse et sa fille, le gendarme aussi, qui est en civil et qui sort sa carte de gendarme après avoir été insulté. Même s'il est en famille, le gendarme se révélera « dans l'exercice de ses fonctions », puisqu'il était d'astreinte à partir de 16 heures ce jour-là. Serge Szmuszkowicz a été condamné à une amende de 500 euros ferme le 15 septembre, alors que le parquet avait requis 500 euros avec sursis.
Antécédents judiciaires : Néant.
Signe particulier : S'est présenté seul, sans avocat, en première instance, parce qu'il était juste au-dessus du plafond qui donne droit à l'aide juridictionnelle mais pensait « ne pas pouvoir se le permettre financièrement ». N'a pas fait appel faute de conseils et de moyens financiers.

5   Jean-Jacques Reboux

Age : 49 ans.
Profession : Editeur.
Militant ? « Non, pas du tout. Je n'ai jamais milité dans aucun parti, aucune association… J'ai juste participé à de nombreuses manifestations, comme tout le monde ! Mon seul vrai acte de “militance” : le parrainage d'un sans-papiers marocain au moment des lois Debré. »
Pourquoi des poursuites pour outrage ? L'affaire remonte à juillet 2006. Ça commence par un PV au volant à Paris. Il conteste ce « PV bidon » et le ton monte : Je m'énerve de plus en plus… puis je me calme. Mais je marmonne quand même dans ma barbe « Quand je pense que je pourrais être ton père, espèce de petit canard… à moins que ce ne soit connard ? » Puis un « connard » un peu plus sonore. » Dans la foulée, interpellation, menottage, et procès en juin 2008 : condamné à une amende de 150 euros avec sursis.
Antécédents judiciaires : Poursuivi en diffamation par l'Opus dei en mai 2007 en tant qu'éditeur de « Camino 999 » de Catherine Fradier. Affaire qui sera jugée avant le procès pour outrage : l'Opus Dei a été déboutée et condamnée à verser 2000 euros de dommages et intérêts aux éditions Après La Lune.
Signe particulier : Meneur malgré lui. De nombreux médias étrangers l'ont contacté depuis qu'il médiatise ces affaires d'outrage, notamment sur Rue89.

Et quand Vichy s'invite dans les affaires d'outrage…

Mardi, une quarantaine de personnes, dont beaucoup de militants pas toujours d'accord, sont venus rencontrer ces quatre prévenus lors du lancement du Codedo. Et débattre, aussi. Ainsi, Maria Vuillet précise que pour elle, « tout reste à faire » et qu'il ne faudrait pas que le comité pour la dépénalisation du délit d'outrage ne reste « qu'un truc de militants ».

Maria Vuillet rappelle qu'il y a aussi de plus en plus d'artistes poursuivis pour « outrage ». C'est ce que nous racontions avec l'article publié il y a dix jours sur le chanteur de punk de Seine-et-Marne qui avait montré ses fesses à Yves Jégo. C'est aussi ce que rappellent ces images d'archives du procès de Guy Bedos, poursuivi en 1991 pour avoir taxé un élu de « nazi lorrain ». Il s'agissait d'ailleurs alors d'insulte publique et pas d'outrage, délit nettement moins pratiqué il y a dix-sept ans. (Voir la vidéo)

On notera d'ailleurs que, de Romain Dunand à Maria Vuillet en passant par Bedos, nombre de cas convoquent la Seconde Guerre mondiale et/ou Vichy. A son procès en appel, Romain Dunand a d'ailleurs fait citer comme « témoin de moralité » Maurice Rasjfus, que les riverains connaissent pour lire ses tribunes sur Rue89. Mais aussi l'anthropologue engagé Emmanuel Terray, qui a justement publié « 1942-2006 : réflexions sur un parallèle contesté ». Comparant Vichy et la politique d'immigration menée aujourd'hui, ce dernier écrit notamment :

« Assurément, il existe entre les deux épisodes des différences considérables, et il serait absurde de les nier. Cependant, sitôt qu’on cherche à les cerner de façon précise, il apparaît qu’elles tiennent presque exclusivement au rôle des occupants allemands : terriblement présents et actifs en 1942, ils ont -fort heureusement- disparu en 2006. En revanche, si l’on considère le comportement des autorités françaises, les similitudes sont manifestes. »

Et l'anthropologue, qui milite aussi à RESF, va plus loin :

« Si les événements suivent leur cours actuel, il est vraisemblable que les analogies iront jusqu’à leur terme et que, dans trente ou quarante ans, des cérémonies de repentance seront organisées pour déplorer et désavouer la politique d’immigration pratiquée actuellement. »

Si Emmanuel Terray a exhumé l'histoire pour soutenir Romain Dunand, il n'était pas prévu, à la veille de l'audience d'Hervé Eon, à Laval, jeudi, de faire témoigner l'agriculteur à qui Nicolas Sarkozy à dit au salon de l'agriculture «Casse-toi pov' con ».

Photos : portraits de Romain Dunand, Hervé Eon, Maria Vuillet, Serge Szmuszkowicz et Jean-Jacques Reboux (Audrey Cerdan/Rue89).

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